Les deux plus grands poètes espagnols du XXème siècle, Federico Garcia Lorca, assassiné à Grenade en 1936 et Antonio Machado mort en exil à Collioure en 1939, furent tous deux victimes du Franquisme. Moins éclatante et audacieuse que la poésie de Lorca, mais empreinte d'une sagesse et d'une profondeur qui lui donne une portée égale à celle des plus grand poètes de tous les temps, de Khayyam (Perse) à Umberto Saba (Italie), l'oeuvre de Machado interroge constamment les grands mystères de la vie humaine, dans une contemplation attentive des hommes et du monde. |
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Tout passe
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Imprévisible parcours que celui de cet Andalou,
né à Séville en 1875! Rien ne laissait prévoir
qu'il finirait ses jours "Tras el Pirineo", à Collioure, pour y reposer
à tout jamais à quelques kilomètres de la frontière
le séparant de son pays d'origine. Après la prime enfance
passée à Séville assombrie par le décès
de son père, sa mère et son oncle vont lui prodiguer affection
et soins attentifs et il poursuivra des études primaires et
secondaires sous la houlette de maîtres et de professeurs qu'il tiendra
toujours en grande estime. Puis il accompagne son frère à Paris
à qui la maison Garnier vient de proposer un emploi de traducteur.
De retour en Espagne, il sera affecté à Soria pour y enseigner
le français, où il rencontre celle qui va devenir, le 30 juillet
1909, sa femme, Doña Leonor. Ses poèmes traduisent alors la
joie et le bonheur de vivre avec celle qu'il aime passionnément.
L'interlude sera de courte durée. Au cours d'un second voyage à
Paris, où il fait la connaissance de Ruben Darío et suit les
cours de Bergson à la Sorbonne, sa jeune femme contracte la tuberculose.
Elle mourra le 1er août 1912. Désormais, le poète va
se consacrer à traduire au moyen de l'écriture poétique
l'inquiétude intérieure d'un esprit entièrement voué
à la réflexion philosophique, qu'il livrera dans des ouvrages
en poésie et en prose intitulés : "Champs de Castille", "Les
Complémentaires", "Juan de Mairena", "Abel Martin". A Ségovie,
où il vient d'être muté, son cur s'enflamme à
nouveau pour celle qui passera à la postérité sous le
nom de Doña Guiomar. Pour lors, il partage son temps entre ses
activités professionnelles et ses escapades à Madrid où,
dans les "tertulias" littéraires, il rencontre l'intelligentsia espagnole
de l'époque -Unamuno, Valle Inclán, Alberti- et il collabore
avec son frère Manuel à la rédaction de pièces
de théâtre. Cette fièvre créative ne l'empêche
pas de s'intéresser aux mouvements politiques et sociaux qui secouent
l'Espagne, et qui la diviseront bientôt en deux camps fratricides.
Républicain de toujours, Machado se retrouve naturellement dans le
camp des opposants à Franco et met sa plume au service du peuple,
collaborant à plusieurs journaux dont "La Vanguardia" de Barcelone.
La guerre le sépare de Doña Guiomar, qui part pour le Portugal,
et à mesure de l'avance des troupes factieuses, ses amis conduisent
le poète à abandonner Madrid pour Valence, puis Barcelone.
Il accuse de plus en plus la fatigue physique et morale: Lorca a été
fusillé. Unamuno, qu'il admirait, n'est plus. Les fascistes gagnent
du terrain. Il lui faut se résoudre à quitter Barcelone, cette
fois pour l'étranger. La mort dans l'âme, le voici sur le chemin
de l'exode, accompagné par sa mère octogénaire, son
frère José et la femme de celui-ci, au milieu de tout un peuple
-le sien- de fugitifs. Dans la cohue, il perd une valise contenant des travaux
inédits. Le groupe est épuisé. Il fait froid. Un ami
explique au Commandant du poste de Perthus qui est Machado. Le gradé
réussit à leur procurer une voiture qui, péniblement,
conduit les quatre rescapés jusqu'à Cerbère. Ils se
voient contraints de passer la nuit dans un wagon où règne
une température glaciale. Le lendemain, ils descendent à Collioure,
où un employé des chemins de fer, Monsieur Baills, les aiguille
vers l'hôtel Quintana. Pourquoi cette halte à Collioure? Pourquoi
le poète n'a-t-il pas essayé de rejoindre Paris, qu'il connaissait
et où il était connu? La question reste sans réponse.
Sans doute faut-il en attribuer la cause à l'épuisement. Collioure
marque en tout cas le point final de son parcours. Ainsi en a décidé
son destin. Arrivé le 2 février 1939 il y mourra le 22 du
même mois. Dans l'intervalle, M. Baills a reconnu en Machado le grand
poète qu'il avait eu l'occasion - à l'époque,
déjà - d'étudier en classe d'espagnol. La nouvelle
s'était répandue et on lui fit un enterrement digne de sa personne
et de ce qu'elle représentait. Son frère trouva dans une des
poches de son pardessus un bout de papier chiffonné sur lequel il
avait écrit ce que l'on considère comme son dernier vers: Esto días azules y este sol de la infancia.
Miguel Martinez
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