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Yasmine
Bourhane, France, 4 décembre 2000
Il est un très vieux monsieur se découvrant sur le
passage des fées et des jeunes filles égarées.
Dans
son chapeau il recueille leurs larmes et puisant dans
leurs âmes en retire un sourire.
Il est
un très vieux singe rompu aux arts de la
grimace dont le souvenir vous pourchasse. D'une
pirouette il fait tourner les têtes. Et pris de
tournis lui aussi se répète.
Il est
un drôle de crocodile parfois qui croque Odile.
Il est
un vieux poisson se faufilant parmi les
méandres des passions. D'une nage agile et vivace il
charme des sirènes et jamais ne s'en lasse et jamais
ne s'enlace. Incrédule il ondule et il passe.
Il est un vieux renard qui jamais de la ruse ne mésuse
mais quand les mots et les gestes abusent son sourire
carnassier vous cloue comme du papier et sa métis fuse
et vous refuse.
Il est
un vieux loup blanc hurlant à la mort sur les
hauteurs des steppes où l'air se raréfie. Un loup
errant par les couloirs du temps montrant sa patte
blanche à la vie.
Il est
un ancien chameau qui traversa les continents
désolés et glaçés et les contrées
arides et sauvages.
Sur le chemin rien ne lui a échappé, au front ses
rides ont les contours de ces paysages. Assoiffé, à
maints mirages de palmeraies il avala les eaux
veninmeuses. Loin d'en succomber il en fut fortifié.
Il est
un vieux briscard aux rires goguenards qui a le
don de raconter de drôle d'histoire qui font pleurer
de rire au matin et rire de ses pleurs le soir.
Il est
un vieux professeur familier des très vieux
livres. Un jour il otâ ses lunettes et éteignit une
dernière fois entre ses doigts la flamme de sa bougie.
Du papier fin des reliques, du vieux parfum des
anciens, des théories philosophiques, il lia et plia
les caractères imprimés et d'une pichenette solennelle
en fit des confettis que la lumière constelle.
Evanouis sous ses yeux dans les ciels impassibles il
ne resta que lui et la Poésie.
Il est
un enfant sans âge qui se promène sur les
sentiers du rêve. Dans ses yeux brillent d'éternelles
dentelles et des duels de sabres à la lueur de
candélabres.
Il est
un funambule glissant sur des bulles sur le
point d'éclater de rires. Il est un somnambule aussi
filant des métaphores dans le labyrinthe des nuits.
Il est
une plante rare qui joue aux jeux des sept
miroirs tournant sur eux-même et se réfléchissant
à
l'infini dans le ciel.
Il est
un homme seul et peuplé. Perdu dans une foule
d'inconnus démasqués et de familiers méconnaissables.
Epuisés ses secrets résignés s'égrénent
derrière qui
forment des parterres de sable. En souvenir la rose
s'élève et repose dans son ciel immuable. La rose
n'aura jamais perdu sa fraîcheur et ses premières
couleurs. L'homme la contemple depuis des siècles et
des siècles sous le soleil, les yeux mouillés de
pluie, le coeur réjouis pour l'éternité.
-
Jean-Luc
Martine, France, le 3 décembre 2000
les
mots nous précèdent
ils nous surviront
seulement certains arrangements
en font des vagues
dont nous sommes responsables
- Julien
Santenoy, France, le 3 décembre 2000
Bête comme chou
C'est
un certain soir où je constate avec évidence ma
déchéance, mon incapacité à voler: je
n'ai rien d'un
oiseau.
C'est
un certain soir où je me signale à moi-même mes
insuffisances. C'est dit: je suis, des créatures sous le
soleil, la plus désolée.
J'admire
la plénitude de toutes les créatures
Je pense trop
je ne sais pas vivre
je suis humain et c'est, des positions vivantes, la plus
inconfortable. Celle à laquelle il manquera toujours
quelque chose.
Car
l'humain à qui il ne manque rien est, de tous les
humains, le plus dépossédé: il lui manque de
savoir
manquer.
- Jean-François
Wurtz, France (Dépt 94), le 3 décembre 2000
HIRONDELLES
Les
hirondelles sur le ciel
En de fébriles rondes folles
Tracent des idées de voyage
Elles s'en vont vers le soleil
Le temps coule dans leur sillage
Encore un été qui s'envole
- Rose,
Paris, le 3 décembre 2000
Une
marionnette et un fou se tiennent la barbichette.
Mais le fou est plus malin que ça.
La marionnette rit la première sous le coup imparable de la
folie.
Et le fou tire sur les ficelles de son coeur.
Marionnette,
petite folle, ne sais-tu pas que les miroirs aux alouettes n'ont pas
d'ailes?
Et toi
le fou crois-tu sortir de ta prison quand ses barreaux sont de sable
de verres?
Tu essayerais que tu te heurterais à ton double comme l'oiseau
au carreau.
Le fou
se dit innocent.
Il veut jouer un jeu d'enfant et la marionnette serait son jouet.
Il lui dirait je veux t'aimer quelques instants.
Je serai brillant et toi mon trophée.
Je serai le vainqueur de ton coeur.
Mais
les marionnettes n'ont pas de coeur dit la petite fille apeurée.
Et le fou dépité retira son masque d'enfant.
Petit, à présent dans l'immensité, il regagna
sa chambre d'enfant.
Une
femme l'aime pourtant mais son prisonnier pleure car à lui-même
il ment.
Ses
larmes reflètent son visage défait, mais le seul visage
qu'il aura su aimer.
Les
fous disent toujours la vérité dit-on. Pas fou celui
qui veut.
- Jérôme
Baccelli, USA, 2 décembre 2000
Objectif de Carrière
Etre
comme les nuages c'est a dire
Débonnaire voire insaisissable
Mais avec une ombre énorme et profonde.
Etre comme les nuages
En suspension au dessus d'un désert de sable crème
Etre une troupe d'immenses légionnaires qui auraient tous
la tête ailleurs
Une légion de nuages étrangers
- Jean-Luc
Wronski, France, 2 décembre 2000
Le bureau des rimes
Guichet numéro un
- Voyez mon voisin
Guichet
numéro deux
- C'est fermé Monsieur
Guichet
numéro trois
- Pour ça, ce n'est pas moi
Guichet
numéro quatre
- Oui, que désirez-vous?
- Je voudrais...
- J'étais là avant vous!
- Allons donc!
- Ah pardon!
- Laissez-moi passer!
- Vous venez d'arriver!
- Enfin Messieurs voyons calmez-vous!
Vous n'allez pas vous battre!
Alors, que voulez-vous?
- Une rime en "atre"! Je l'ai merci!
- Et moi aussi
- Je vous en prie.
Guichet
numéro cinq
Guichet
numéro six
- Qu'y a-t-il pour votre service
- Il n'y a personne au guichet cinq!
- Non, en effet, il est au café.
- Ah, bravo, et c'est le client qui trinque!
Guichet
numéro sept
- Oui, c'est pourquoi?
- Mais ça ne rime pas!
- Et alors? Vous êtes poète ou pas?
- Je suis poète!
- Eh bien voilà.
- Marjas,
France, le 1er décembre 2000
Je n'écris
ni avec le feu
ni avec la foudre
mais dans le désordre et l'urgence.
Mon
chant épouse les méandres
d'un fleuve capricieux
tour à tour creusant
ou enveloppant
qui s'attarde entre vagues
et frémissements.
Ainsi
vont ces puissantes voies
tracées hors de moi,
entre ombre et lumière
eaux vives et chutes profondes...
Couvert
d'herbes folles
et d'embruns
et de ces mille riens accumulés
mon souffle se mêle à chaque souffle
pour gagner un instant d'éternité.
- Josef
Bakou, Allemagne, le 1er décembre 2000
Le silence, un jour
Ecoute-le
battre, ce cur.
Pour toi, surtout,
ne fait-il pas gronder l'écho ?
Il me promet pourtant
le silence, un jour.
Noyons-nous d'ici là,
veux-tu,
dans le vin quand il rit,
dans la musique quand elle rouspète,
dans les bruits,
tous les autres,
de la vie :
dans la clameur de la foule,
dans le gazouillis des oiseaux,
dans le clapotis des vagues,
et pourquoi pas,
en automne,
dans les hurlements du vent.
Mais non, pas dans le cliquetis des armes...
Non, pas dans le fracas des canons...
-
Isabelle
de Penfentenyo-Barrett, Hong-Kong, le 1er décembre 2000
Ah la jolie souffrance
Ah la
jolie souffrance
quand lamour emprisonne
et que la geôle est douce
au prisonnier soumis
A travers
les barreaux
que lattente resserre
un petit coin de ciel
suffit à mon esprit
Papillon,
sur tes ailes fragiles
porte loin mes frissons
mon corps se libère
quand mon âme sévade
Mes
sens à labandon
saisis par le soleil
brûlent puis explosent
foudroyante lumière
Jembrasse
linvisible
mes lèvres tremblent
frôlent caressent
ta peau qui se donne
Mes
hanches ondulent
sous lappel impérieux
et mes mains transhument
au luxurieux alpage
Vous
les goélands
égarés loin des côtes
allez à locéan
crier tous mes silences
Quun
Hollandais volant
errant de mer en mer
entende cet inaudible chant
et le souffle la nuit
à ton oreille endormie
et quau matin ton corps
tendu par lémotion
séveille à ma musique
Nos
rythmes conjugués
senvolent à lunisson
sur des vagues parallèlles
pour ne jamais satteindre
-
Jean-François
Mézil, le 1 er décembre 2000
Peut-on parler de Liberté ?
Peut-on
parler de LIBERTÉ ailleurs que dans une prison ?
Où pourrions-nous chanter la paix mieux que sous le
fracas des bombes ?
et discuter de la JUSTICE autrement quavec nos
bourreaux ?
Nous
nous érodons le cur de nos verbiages.
Nos vérités sortent de livres trop savants, bien rangés
dans nos bibliothèques où la poussière est faite
deux
fois par semaine par une pauvre fille émigrée et sous-
payée.
A force
de se taire, tant nos caquètements lagaçaient,
le Poète a perdu la Parole.
Le temps vient pourtant où lagneau tétera la louve.
Nous pourrons brûler tous nos livres.
Le Poète écrit en lettres de sang et nul ne peut lire
hors ceux qui sont aveugles.
- Dorothée
Kopp, France, le 31 novembre 2000
Chaussée glissante
Au bruit
du galop de la pluie sur le macadam
tous se prosternent au passage du serpent
à la peau pavée d'écailles luisantes
et craquelée d'offrandes
des
vies dans de grands sacs noirs
roulent sur les trottoirs
qui dévident en spirale
leurs bobines d'asphalte gris
Au centre
des cours d'immeuble
le siphon entraine les derniers feuillets
avec les flots boueux
là où la pluie devient source.
- Gabrielle
Fric, France, le 31 décembre 2000
Marine
Mon
amour arrivé entre deux rivages
Comme un marin perdu entre océan et cieux
Sans rien désirer de plus
Que ces horizons sans nom.
Mille
nuits une ivresse,
Un temps sans aucun sens
Et pas de délivrance,
Car elle est elle
Cette solitude qui nen est pas
Cette liberté quaucun nenvie
Seul le marin,
Seul celui qui ne sait pas partir,
Sauf celui qui ne sait pas choisir.
- Alain
Cormier, Québec, le 30 novembre 2000
Novembre
Les
morts vivent en novembre
dans les murs qui suintent aux premières giboulées
sen donnent à cur fendre
les nuits s'allongent les cadavres s'éveillent
ne nous laissent pas en repos
au dedans ils chuchotent
au dehors ils nous fouettent
et nous rentrons figés par leurs morsures
écoutez-les
gémir dans la tourmente
gratter aux fenêtres pour sortir de la nuit
mais vous hurlez plus fort pour ne pas les entendre
malheureux
immortels
qui ne croyez pas à lhiver.