UN
POETE A LA MER A l'âge
de 96 ans, le grand poète espagnol Rafaël Alberti, un des
principaux animateurs de la "génération de 1927"
de laquelle sont issues quelques-unes des voix déterminantes de
la poésie espagnole de notre temps, a quitté nos rivages.
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La joyeuse Génération de 1927... dont l'oeuvre "va s'épanouir en multiples rameaux étincelants"... ce groupe de jeunes poètes qui s'étaient mis en tête de rendre les honneurs à Luis de Gongora, perd avec Alberti un de ses derniers acteurs et témoins. 1927 : " Le tricentenaire de Gongora approche et l'Académie espagnole semble vouloir passer sous silence l'événement. "Un petit noyau de poètes se mobilise et constitue un Comité d'Hommage : Gerardo Diego, Pedro Salinas, Melchior Fernandez Almagro; les rejoignent Lorca, Bergaimin, Moreno Villa, Antonio Marichalar, Damaso Alonso, Jorge Guillen, José Maria de Cossio... Rafael Alberti se lie d'amitié avec cette turbulente pléiade qui fait la fête en poésie, et il gardera, tout au long d'une existence marquée par la lutte et l'exil, cet état d'esprit qui veut que la poésie soit toujours signe de vie. A quatre-vingt trois ans après de multiples départs , il pourra enfin regagner ce port tant aimé de Santa Maria, " blotti dans l'arc bleuté de la baie de Cadix ". Durant tous ces voyages, il n'a eu de cesse de chanter cette mer perdue. Rafael Alberti est parmi les poètes de l'exil, un des plus grands.
C'est en 1902 que Rafael Alberti est né dans ce Port de Santa Maria, avant qu'à dix ans il ne s'éloigne avec sa famille pour Madrid, où déjà il se sentira comme " un marin échoué sur la terre ". C'est d'abord la peinture qui lui semble le meilleur moyen d'exprimer les images de la beauté qu'il cultive depuis ses promenades sur les chemin côtiers de son village, mais à la mort de son père, il transcrit son trouble en écrivant son premier poème :
Lui-même, d'une santé fragile, il passe une partie de sa jeunesse confinée dans sa chambre, où il lit et écrit beaucoup : " Je me promis d'oublier ma première vocation Je voulais seulement être poète ". De sa fenêtre, il contemple la silhouette d'une fillette, dont le souvenir se cristallisera plus tard dans certains poèmes du recueil " Marin à Terre " :
Désireux de connaître l'écho que son uvre naissante peut susciter auprès d'un jury de poètes confirmés, Rafael envoie son " Marin à Terre " au Concours National de Poésie où siège le père de la poésie espagnole du XXème siècle, Antonio Machado. Il est aussitôt remarqué, gagne le premier prix et devient célèbre du jour au lendemain. Mais c'est quelques années plus tard, avec le recueil "Sur les anges " qu'il commencera a être considéré comme un des plus grands poètes espagnols.
"A la même époque" nous dit Claude Couffon, "Neruda écrit Résidence sur Terre" et ces deux recueils, celui du poète chilien qui sera son ami jusqu'à sa mort, et celui d'Alberti, pressentent l'avenir d'une société qui se délite et sur laquelle commence à planer la menace de la guerre. Dans une poésie dont la forme semble rompre avec l'insouciante clarté de ses premières uvres, Rafael exorcise une époque où les préoccupations politiques vont prendre le pas sur la contemplation de la nature et l'expression des sentiments. L'année 1931 voit naître la République Espagnole pour laquelle il s'engage de toute sa poésie et quand la Guerre d'Espagne éclate, il se trouve à Madrid en compagnie de Pablo Neruda, Miguel Hernandez et de quelques autres poète qui vont prendre fait et cause pour le camp républicain. Iil écrit en particulier "A Galopar", dont Paco Ibanez fera, en le chantant, l'un des hymnes de la lutte des Républicains ainsi que le poème ci-après, dédia "A Niebla", qui n'était autre que son petit chien offert par Neruda et dont le nom signifie brouillard:
Alberti va ensuite retrouver Neruda à Paris puis par pour l'Argentine où il retrouvera son ami et éditeur Losada. Il y vivra en compagnie de sa femme, Maria Teresa Leone, et de sa fille, Aïtana, non pas à Buenos-Aires, mais dans la pampa ce qui lui donnera la nostalgie des paysages d'Andalousie :
Mais cette nostalgie ne va pas parfois sans une tendre autodérision :
" Alors ", poursuit Claude Couffon, "il est resté quelque chose comme dix-huit ans en exil à Buenos Aires. Et je dirais que, pour les réfugiés espagnols de cette époque-là, Rafael Alberti c'était leur poète, celui qui chantait leur exil. Ils se réunissaient tous à Montparnasse, au Dôme ou à la Coupole, et je retrouvais toujours à ce moment-là Miguel Asturias et les autres. Tous les soirs, à 5 heures, ils refaisaient la Guerre d'Espagne. " Mais dans ce siècle tourmenté, l'Argentine n'est pas exempte de troubles politiques : Péron prend le pouvoir, Miguel Asturias est arrêté et Rafael Alberti quitte l'Argentine pour l'Italie. Il y écrit des poèmes où, comme en contrepoint de la beauté des paysages, resurgissent avec acuité les blessures de l'exil et les tragédies politiques et humaines. En Espagne, la dictature franquiste s'éternise et continue de faire des victimes. En décembre 1970, à Burgos, six militants basques sont condamnés à mort et exécutés. En septembre 1973, au Chili, c'est la mort de l'ami, celle de son "frère" Pablo Neruda, quelques jours après le coup d'État de Pinochet.
Le 20 novembre 1975, Franco meurt. Le jeune roi d'Espagne, Juan Carlos, de passage à Rome demande à Alberti de revenir dans son pays. A l'aéroport de Barajas, il déclare à ceux qui l'accueillent : "Je suis parti le poing fermé car c'était le temps de la guerre et je reviens la main ouverte, tendue à l'amitié de tous. " Ensuite est
venu le temps des hommages et des honneurs dans son pays natal retrouvé.
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