A Tchita nous eûmes quelques jours de
répit
Arrêt de cinq jours vu l'encombrement de la voie
Nous les passâmes chez monsieur Jankelevitch qui voulait me donner
sa fille unique en mariage
Puis le train reparti
Maintenant c'était moi qui avait pris place au piano et j'avais mal
aux dents
Je revois quand je veux cet intérieur si calme le magasin du père
et les yeux de la fille qui venait le soir dans mon lit
Moussorgsky
Et les lieder de Hugo Wolf
Et les sables du Gobi
Et à Khaïlar une caravane de chameaux blancs
Je crois bien que j'étais ivre durant plus de cinq-cent
kilomètres
Mais j'étais au piano et c'est tout ce que je vis
Quand on voyage on devrait fermer les yeux
Dormir j'aurais tant voulu dormir
Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur
Et je reconnais tous les trains au bruit qu'ils font
Les trains d'Europe sont à quatre temps tandis que ceux d'Asie sont
à cinq ou sept temps
D'autres vont en sourdine sont des berceuses
Et il y en a qui dans le bruit monotone des roues me rappellent la prose
lourde de Maeterlink
J'ai déchiffré tous les textes confus des roues et j'ai
rassemblé les éléments épars d'une violente
beauté
Que je possède
Et qui me force
Tsitsika et Kharbine
Je ne vais pas plus loin
C'est la dernière station
Je débarquai à Kharbine comme on venait de mettre le feu aux
bureaux de la Croix-Rouge.
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