Jean Prévost
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Claude, si la guerre incertaine Un de ces beaux matins m'emmène Les pieds devant, N'écris pas mon nom sur la terre Je souhaite que ma poussière S'envole au vent. Pas d'étendard avec ma chiffe Que l'officiel et le pontife Taisent leur bec; Vous-mêmes, ce matin d'épreuve, Mes trois enfants, et toi ma veuve Gardez l'oeil sec. Pas un regret ne m'importune. Je suis content de ma fortune. J'ai bien vécu. Un homme qui s'est rempli l'âme De trois enfants et d'une femme Peut mourir nu. Veux-tu que mon ombre s'égaie Qu'un canot à double pagaie Porte mon nom, Qu'il ait un mât, voile latine, Le nez léger, l'humeur marine Et le flanc blond. Tu sais comment j'aimais la vie. Je détestais la jalousie Et le tourment. Si les morts ont droit aux étrennes Je veux qu'au bout de l'an tu prennes Un autre amant. (en mer, 12 juin 1940) tiré de "derniers poèmes" aux éditions Gallimard |