Intimité
du Christ
Jésus
se fait deux oeufs sur le plat. Il n'est pas coiffé, pas rasé,
pieds nus il a laissé sa croix dans un coin. Aussitôt qu'il
a un moment, il dessine des enfants, des enfants, des enfants. Parfois,
il lit les journaux et hausse les épaules. Ce que l'on colporte
sur son compte l'irrite, accentue sa fièvre.
Jésus
répare sa bicyclette, il doit aller livrer du poisson, il y a
une éternité qu'il n'a pas eu le temps de téléphoner
à sa mère. La dernière fois qu'il l'a vue, c'était
au Golgotha, peu avant son décès. Il a des fins de siècles
difficiles.
Gardien
des eaux et des forêts de l'âme, il va, il va, opiniâtre,
friand d'innocence. Les pauvres le rassemblent, il a toujours un visage
pour les vaincus. Il évite les cathédrales comme la peste,
il fait un grand détour à cause d'un rendez-vous qu'il
a dans les yeux d'un aveugle. Tout à l'heure il se fondra à
nouveau dans la foule, puis, après avoir escorté des révolutionnaires
qui se déplacent nuitamment, par prudence, il recommencera à
dessiner des enfants, des enfants si petits qu'il faut une loupe ou
un coeur de mère pour les voir.
Je
le salue distraitement, car il n'apprécie guère les démonstrations,
car il doute, car il est mon ami. Je prends congé, je me rejoins
dans ma vie si provisoire, si bâclée, si chaotique, que
je n'y aurai pris, à vrai dire, qu'un intérêt limité.
Jean-Pierre
Rosnay
|
|