J'ai
vu bien des choses dans ma petite vie, et je mesure amèrement l'impuissance
à les dire.
Je ne sais plus laquelle de mes vies est vraie, si c'est une de celles
que j'ai vécues ou celle que j'ai imaginée. Et, mon crayon
titubant entre les lignes, ressemble étrangement à un homme
ivre, qui raconterait des histoires dans la nuit aux becs de gaz. Des
histoires dont tout le monde se fiche. Je n'ai rien que moi. Je ne puis
aller plus loin que moi, et je me hais.
Mais que celui qui se moque de l'homme saoul se méfie. Nul n'est
à l'abri de soi-même, et que celui qui le peut, et que l'homme
fort me jette la première pierre, mais alors qu'il ne me manque
pas, qu'il vise au front, car je n'aurais aucune pitié pour les
assassins du dimanche.
Je suis né, je vis, je mourrai, à mon insu. Il ne me reste
que des gestes à faire, des sensations à prendre, à
voler...
Voler mon corps dans l'eau de la mer... Voler les rayons du soleil comme
le ciboire et le calice, dans le lieu ridicule où les vaincus viennent
signer leur soumission totale... Voler mon corps dans les râles
d'une femme. Je volerai tout. Vous n'aurez pas une seule de mes minutes.
Et j'assassinerai, au matin, mes complices à la lisière
de mes rêves. |
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